5

 

 

Ce fut un groupe imposant – près de deux cent cinquante personnes – qui se mit en branle plus tard dans la matinée. Manvelar et la Troisième Caverne ouvrirent la marche dans la descente commençant à l’extrémité est de l’abri de pierre. Le sentier qui partait de la corniche de la Neuvième Caverne menait à un petit affluent de la Rivière, qu’on appelait la Rivière des Bois parce que sa vallée, protégée du vent, comptait un nombre d’arbres inhabituel.

Les régions boisées étaient rares à la période glaciaire. La limite des grands glaciers couvrant un quart de la surface de la Terre n’était pas très loin au nord, ce qui créait des conditions de permafrost dans les régions proches. En été, la couche supérieure du sol dégelait jusqu’à des profondeurs variables selon les endroits. Dans les zones ombragées couvertes de mousse ou autre végétation isolante, le sol ne dégelait que sur quelques centimètres de profondeur, mais là où la terre était directement exposée au soleil il se ramollissait suffisamment pour laisser pousser une herbe abondante.

D’une manière générale, les conditions ne favorisaient pas les arbres, aux racines plus profondes. Mais dans les endroits protégés des vents froids et des grands gels, le sol pouvait dégeler sur un mètre de profondeur, ce qui permettait aux arbres de prendre racine. Des forêts-galeries poussaient souvent le long des rivières aux berges saturées d’eau.

La vallée de la Rivière des Bois était l’une de ces exceptions, avec une abondance relative de conifères et de feuillus, notamment des noyers et divers arbres fruitiers. Cette vallée constituait une réserve étonnamment riche en bois de chauffage pour ceux qui vivaient à proximité, mais elle n’était pas couverte d’une forêt épaisse. Elle ressemblait plutôt à un vaste espace vert, avec des prés et des clairières entre des parties plus fortement boisées.

Le groupe se dirigea vers le nord-ouest en suivant la vallée sur une dizaine de kilomètres de terrain en pente douce, un début très agréable pour le voyage. Lorsque les Zelandonii arrivèrent à un affluent de la Rivière des Bois qui dévalait une colline en cascadant, sur la gauche, Manvelar fit halte. C’était le moment de se reposer et de laisser les retardataires les rattraper. On fit de petits feux pour les infusions, les parents nourrirent les enfants et puisèrent dans les provisions emportées pour le voyage, lanières de viande ou morceaux de fruits séchés, noix restant de la récolte de l’année précédente. Quelques-uns mangèrent les gâteaux spéciaux que presque tout le monde préparait, un mélange de viande séchée réduite en poudre, de baies ou de petits morceaux de fruits séchés et de graisse, moulés en petits pâtés et enveloppés de feuilles comestibles. C’était une nourriture bourrative et riche en calories mais longue à préparer et la plupart des marcheurs la gardèrent pour plus tard, quand ils voudraient parcourir rapidement de longues distances ou traquer un gibier et se sustenter sans allumer de feu.

— C’est ici que nous tournons, annonça Manvelar. Si nous prenons plein ouest à partir de maintenant, lorsque nous parviendrons à la Rivière de l’Ouest, nous devrions être près de la Vingt-Sixième Caverne et de sa plaine d’inondation, là où se tiendra la Réunion d’Été.

Il était assis en compagnie de Joharran et de quelques autres qui regardaient les collines s’élevant sur la rive ouest et l’affluent tumultueux descendant la pente.

— Doit-on camper ici cette nuit ? demanda Joharran.

Il leva les yeux pour voir où le soleil en était de son parcours dans le ciel et poursuivit :

— Il est un peu tôt mais nous sommes partis tard ce matin et la montée paraît rude. Nous en viendrions peut-être plus facilement à bout après une nuit de repos.

— La pente est forte sur quelque distance seulement puis le terrain devient plus ou moins plat, répondit Manvelar. J’essaie d’habitude de grimper d’abord puis de faire halte et d’établir le camp pour la nuit.

— Tu as probablement raison, approuva Joharran. Il vaut mieux laisser cette difficulté derrière nous et repartir frais demain matin, mais je crains que la montée ne pose problème à certains.

Il se tourna vers son frère puis coula un regard à leur mère, qui venait d’arriver et semblait soulagée de pouvoir s’asseoir et se reposer. Il avait remarqué qu’elle peinait plus que d’habitude à avancer.

Jondalar saisit le message muet et dit à Ayla :

— Nous pourrions rester ici pour attendre les retardataires et leur indiquer la bonne direction.

— Bonne idée, répondit-elle. De toute façon, les chevaux préfèrent être derrière.

Elle souleva Jonayla et lui tapota le dos. L’enfant avait fini de téter mais semblait vouloir jouer avec le sein de sa mère. Parfaitement réveillée, elle gloussa en direction de Loup, assis derrière le groupe. Il s’avança, lécha le visage du bébé, qui gloussa de nouveau. Ayla avait elle aussi capté le message adressé à Jondalar et, comme Joharran, elle avait remarqué que Marthona ralentissait l’allure. Zelandoni, qui venait d’arriver, avait également pris du retard mais Ayla ne savait pas si c’était par fatigue ou si elle avait décidé d’attendre Marthona.

— Il y a de l’eau chaude pour une infusion ? s’enquit la Première en les rejoignant.

Elle décrocha le sac dans lequel elle gardait ses remèdes et s’activa.

— As-tu déjà bu, Marthona ?

Avant même que la mère de Jondalar secoue la tête, la doniate ajouta :

— Je vais te préparer une infusion en même temps que la mienne.

Ayla les observa attentivement. Elle ne tarda pas à comprendre que Zelandoni avait elle aussi remarqué la fatigue de Marthona et lui préparait une médecine. La mère de Jondalar le savait aussi. Nombreux étaient ceux qui se faisaient du souci pour elle mais ils se gardaient de le manifester. Ayla sentait cependant que leur inquiétude était grande. Elle décida d’aller voir ce que faisait Zelandoni.

— Jondalar, tu peux t’occuper de Jonayla ? Elle a mangé et elle a envie de jouer, dit-elle en lui tendant le bébé.

Jonayla agita les bras en souriant à Jondalar, qui lui rendit son sourire et la prit. De toute évidence, il adorait ce bébé, cet enfant de son foyer. Cela ne le dérangeait jamais de la garder. Il semblait à Ayla qu’il montrait avec sa fille plus de patience qu’elle-même. Jondalar était un peu surpris de la force de ses sentiments pour Jonayla et se demandait si c’était parce qu’il avait longtemps douté d’avoir un jour un enfant de son foyer. Il croyait avoir offensé la Grande Terre Mère quand il était jeune en voulant s’unir à sa femme-donii et craignait que la Mère ne refuse à jamais de mêler une partie de son esprit à l’esprit d’une femme pour créer une nouvelle vie.

C’était ce qu’on lui avait appris. La création de la vie résultait de l’union de l’esprit des femmes à l’esprit des hommes avec l’aide de Doni, et la plupart des gens qu’il connaissait, y compris ceux qu’il avait rencontrés pendant son voyage, pensaient en gros la même chose… sauf Ayla. Elle était convaincue qu’il y avait autre chose qu’une fusion d’esprits ; elle lui avait assuré que ce n’était pas seulement son esprit qui s’était conjugué au sien pour créer un nouvel être mais son essence, lorsqu’ils avaient partagé les Plaisirs. Elle affirmait que Jonayla était autant l’enfant de Jondalar que le sien et il avait envie de la croire même s’il n’était pas sûr qu’elle eût raison.

Il savait qu’Ayla avait acquis cette conviction alors qu’elle vivait avec le Clan, alors même que ses membres pensaient autrement, eux aussi. Ils croyaient que des esprits de totem créaient une nouvelle vie en grandissant à l’intérieur d’une femme, le totem mâle prenant le dessus sur le totem femelle. Ayla pensait qu’il fallait quelque chose de plus que les esprits. Pourtant elle était acolyte, elle se formait pour devenir une Zelandoni et c’était la Zelandonia qui expliquait Doni, la Grande Terre Mère, à Ses enfants. Jondalar se demandait ce qui se passerait lorsque le temps viendrait pour Ayla d’expliquer la création d’une nouvelle vie. Répéterait-elle, comme la Zelandonia, que la Mère choisissait l’esprit d’un homme pour l’unir à l’esprit d’une femme, ou soutiendrait-elle que l’essence d’un homme était nécessaire, et qu’en dirait alors la Zelandonia ?

En approchant des deux femmes, Ayla vit que Zelandoni fouillait dans son sac d’herbes médicinales tandis que Marthona se reposait, assise sur un rondin à l’ombre d’un arbre près de la Rivière des Bois. La mère de Jondalar avait vraiment l’air épuisée mais tentait de ne pas en faire cas. Elle souriait et bavardait alors qu’elle n’avait sans doute qu’une seule envie : fermer les yeux et se reposer.

Après avoir salué Marthona et les autres, Ayla rejoignit Celle Qui Était la Première.

— Tu as tout ce qu’il te faut ? lui demanda-t-elle à voix basse.

— Oui. J’aurais voulu avoir le temps de concocter dans les règles un remède à la digitale mais je dois me contenter de la préparation séchée que j’ai emportée.

Ayla avait remarqué que Marthona avait les jambes un peu gonflées.

— Il faut qu’elle se repose, n’est-ce pas ? Au lieu de faire la conversation à ces gens qui veulent juste être aimables. Je ne saurais pas aussi bien que toi leur faire comprendre, sans l’embarrasser, qu’ils feraient mieux de la laisser tranquille. Explique-moi comment lui préparer cette infusion.

La doniate sourit et murmura :

— Tu es perspicace, Ayla. Ce sont des amis de la Troisième Caverne qu’elle n’a pas vus depuis longtemps.

Elle montra rapidement à Ayla comment procéder et se dirigea vers le groupe en train de bavarder.

Ayla se concentra sur les instructions qu’elle avait reçues et, lorsqu’elle releva la tête, elle constata que la Première s’éloignait avec les amis de Marthona et que celle-ci avait fermé les yeux. Cela découragera d’autres retardataires de s’arrêter pour lui parler, pensa-t-elle. Elle attendit que le breuvage refroidisse et au moment où elle l’apportait à la mère de Jondalar, Zelandoni revint. Les deux femmes se placèrent de manière à dissimuler Marthona aux autres pendant qu’elle buvait. Au bout d’un moment, l’infusion sembla faire effet et Ayla se promit d’interroger plus tard Zelandoni à ce sujet.

Lorsque Manvelar repartit, ouvrant la marche vers le haut de la colline, la Première le suivit mais Ayla resta près de Marthona. Willamar les avait rejointes et s’était assis de l’autre côté de sa compagne.

— Reste avec nous et laisse Folara partir devant, suggéra Ayla. Jondalar s’est proposé pour attendre les retardataires jusqu’au dernier et les mettre dans la bonne direction. Proleva a promis de nous garder quelque chose à manger lorsque nous arriverons au camp.

— D’accord, répondit Willamar sans hésiter. D’après Manvelar, il faut marcher plein ouest pendant quelques jours. Combien ? Cela dépendra de l’allure. Il n’y a aucune raison de se presser. En tout cas, c’est une bonne chose que quelqu’un reste derrière pour aider ceux qui seraient blessés ou auraient un problème…

— Ou pour attendre une vieille femme trop lente, enchaîna Marthona. Un jour viendra où je n’irai plus aux Réunions d’Été.

— C’est vrai pour chacun de nous, lui répondit Willamar. Mais tu n’en es pas encore là.

— Il a raison, dit Jondalar, le bébé de son foyer endormi au creux du bras.

Il venait de parler à un groupe familial comprenant plusieurs jeunes enfants et lui avait indiqué la direction à prendre.

— Peu importe que nous prenions du retard, nous ne serons pas les seuls, argua-t-il en montrant la famille qui commençait à gravir la pente. Et quand nous arriverons, les gens auront encore besoin de ton aide et de tes conseils, mère.

— Tu veux que je porte Jonayla dans ma couverture ? proposa Ayla. Je crois que nous sommes les derniers, maintenant.

— Non, ça va, elle s’est endormie. Il faudrait trouver un chemin plus facile pour les chevaux.

— C’est aussi ce qu’il me faut. Je devrais peut-être les suivre, dit Marthona, ne plaisantant qu’à demi.

— Le problème, ce n’est pas tellement les chevaux, ils grimpent bien. C’est d’arriver là-haut avec les perches et les charges sur leur dos, précisa Ayla.

— Si je ne me trompe pas, nous sommes passés devant un chemin moins raide en venant ici, nous pourrions revenir sur nos pas pour essayer de le retrouver, suggéra Willamar.

— Puisque Jondalar ne demande pas mieux que de s’occuper du bébé, il peut rester et me tenir compagnie, dit Marthona.

Et aussi veiller sur elle, pensa Ayla en s’éloignant avec Willamar. Des animaux pourraient passer par hasard et la prendre pour proie : des lions, des ours, des hyènes, qui sait quoi encore. Loup, qui se reposait, allongé par terre, la tête entre les pattes, se redressa et parut hésiter quand il vit que Jonayla restait et qu’Ayla partait.

— Tu restes là ! lui intima-t-elle en ponctuant son ordre d’un signe. Avec Jondalar, Jonayla et Marthona.

L’animal se recoucha mais garda la tête et les oreilles dressées, au cas où Ayla lui adresserait un autre mot ou un autre signe.

— Si nous n’avions pas chargé les chevaux aussi lourdement, Marthona aurait pu monter la colline sur les perches, dit Ayla à Willamar au bout d’un moment.

— Si tant est qu’elle ait été d’accord. J’ai remarqué quelque chose d’intéressant dans son attitude envers tes bêtes. Elle n’a absolument pas peur de ton loup, un chasseur puissant qui pourrait facilement la tuer, mais elle n’aime pas s’approcher des chevaux. Elle les craint beaucoup plus, alors qu’ils ne mangent que de l’herbe.

— Peut-être parce qu’elle ne les connaît pas aussi bien. En plus, ils ont une masse imposante et ils peuvent devenir ombrageux, ou nerveux, lorsque quelque chose les surprend. Les chevaux ne s’approchent jamais de son habitation. Peut-être que si elle passait plus de temps avec eux, elle aurait moins d’appréhension.

— Peut-être, convint Willamar. Mais il faudrait d’abord l’en persuader, et quand elle s’est mis en tête qu’elle ne veut pas faire quelque chose… C’est une femme de caractère.

— Oh, je n’en doute pas, répondit Ayla.

 

 

Lorsque Willamar et Ayla revinrent, Jonayla s’était réveillée et souriait à présent dans les bras de son aïeule. Jondalar était avec les chevaux, il vérifiait que leurs charges étaient bien attachées.

— Nous avons trouvé un meilleur chemin, annonça Willamar. Par endroits, il est un peu raide mais ça pourra aller.

— Donne-moi la petite, dit Ayla en se dirigeant vers Marthona. Elle s’est sûrement souillée et ça ne doit pas sentir bon. C’est son habitude quand elle se réveille, l’après-midi.

— C’est ce qu’elle a fait, confirma Marthona, qui tenait l’enfant assise sur son giron, face à elle. Je n’ai pas oublié comment on s’occupe d’un enfant, hein, Jonayla ?

Elle la fit sauter doucement et lui sourit, reçut en échange un sourire et un doux gazouillis.

— Elle est adorable, dit-elle en rendant le bébé à sa mère.

Ayla l’installa confortablement dans la couverture à porter. Marthona semblait reposée et ragaillardie quand elle se leva. Ils repartirent le long de la Rivière des Bois, tournèrent et s’engagèrent sur l’autre chemin. Une fois au sommet de la colline, ils marchèrent de nouveau vers le nord jusqu’au petit affluent puis prirent à l’ouest. Le soleil, bas sur l’horizon, dardait ses rayons presque directement dans leurs yeux lorsqu’ils parvinrent au camp établi par la Troisième et la Neuvième Caverne. Proleva guettait leur arrivée et fut soulagée de les voir enfin.

— J’ai gardé de la nourriture au chaud près du feu. Pourquoi avez-vous tant tardé ? leur demanda-t-elle en les conduisant à la tente de voyage qu’ils partageraient.

Elle se montra particulièrement empressée avec la mère de Joharran.

Jondalar lui donna l’explication et ajouta :

— Garde la nourriture au chaud un peu plus longtemps. Nous devons d’abord décharger les chevaux et leur trouver un endroit où ils pourront brouter.

— S’il reste un os avec de la viande pour Loup, il appréciera, dit Ayla.

Il faisait sombre quand ils revinrent enfin manger. Tous ceux qui partageaient la tente de voyage se rassemblèrent autour du feu : Marthona, Willamar et Folara ; Joharran, Proleva et ses deux enfants, Jaradal et Sethona ; Jondalar, Ayla, Jonayla et Loup ; et Zelandoni. Bien qu’elle ne fît pas vraiment partie de la famille du chef, elle y avait sa place quand ils voyageaient parce qu’elle n’avait elle-même pas de famille à la Neuvième Caverne.

— Combien de temps nous faudra-t-il pour arriver au lieu de la Réunion d’Été ? demanda Ayla à Joharran.

— Cela dépend de notre allure, mais probablement pas plus de trois ou quatre jours, d’après Manvelar.

 

 

Une pluie intermittente les accompagna une bonne partie du chemin et tous furent heureux quand, l’après-midi du troisième jour, ils aperçurent des tentes devant eux. Manvelar, Joharran et ses deux proches conseillers, Rushemar et Solaban, partirent devant pour trouver un lieu où installer leurs camps. Manvelar choisit un endroit au bord d’un affluent de la Rivière de l’Ouest, près du confluent, et le revendiqua en y posant son sac à dos. Puis il trouva le chef de Vue du Soleil et il y eut un échange général de salutations rituelles abrégées que Joharran conclut en ces termes :

— Au nom de Doni, je te salue, Stevadal, Homme Qui Commande Vue du Soleil, Vingt-Sixième Caverne des Zelandonii.

— Soyez les bienvenus au Lieu de Rassemblement de notre Caverne, répondit Stevadal en lâchant les mains de Joharran.

— Nous sommes contents d’être ici mais j’aimerais avoir ton avis sur l’endroit où nous pourrions nous installer. Tu sais que nous sommes nombreux et maintenant que mon frère est revenu de son Voyage avec… des compagnons inhabituels, il nous faut un endroit où ils n’inquiéteront pas les voisins et où ils ne se sentiront pas menacés par des gens qu’ils ne connaissent pas encore.

— J’ai vu le loup et les deux chevaux, l’année dernière. Des « compagnons inhabituels », en effet, dit Stevadal en souriant. Ils ont même des noms, je crois.

— La jument s’appelle Whinney, c’est elle qu’Ayla monte généralement. L’étalon de Jondalar a pour nom Rapide, il est le rejeton de la jument, à qui la Grande Terre Mère a accordé aussi une pouliche. Ils l’appellent Grise, d’après la couleur de son pelage.

— Tu vas te retrouver avec toute une troupe de chevaux dans ta Caverne ! s’exclama Stevadal.

J’espère bien que non, pensa Joharran, qui se contenta de sourire.

— Quel genre d’endroit cherches-tu exactement ? reprit Stevadal.

— L’année dernière, rappelle-toi, nous avions trouvé un lieu un peu écarté. J’avais d’abord pensé qu’il était peut-être trop loin de toutes les activités, mais finalement, le choix s’est révélé judicieux. Les chevaux pouvaient brouter et le loup demeurer à distance des membres des autres Cavernes. Ayla sait parfaitement s’en faire obéir et il m’écoute même parfois, mais je ne voulais pas qu’il effraie qui que ce soit. De plus, nous avons tous apprécié de pouvoir nous étaler un peu.

— Si je me souviens bien, vous aviez eu aussi du bois de chauffage jusqu’à la fin de la saison. Nous étions même venus vous en prendre, les derniers jours.

— Nous avons eu de la chance, nous n’avions même pas pensé à ça. Manvelar m’a dit que vous auriez peut-être une place pour nous un peu plus près de Vue du Soleil. Une petite vallée herbeuse, je crois ?

— Oui, nous allons quelquefois y faire des cueillettes avec les Cavernes voisines. On y trouve des noisettes et des myrtilles. Elle est à proximité d’une grotte sacrée. C’est un peu loin d’ici, mais cela vous conviendrait. Vous voulez aller voir ?

Joharran fit signe à Rushemar et Solaban et les trois hommes suivirent Stevadal.

— Dalanar et ses Lanzadonii étaient avec vous l’année dernière, n’est-ce pas ? Ils viennent, cette année ? demanda Stevadal en marchant.

— Nous n’avons pas de nouvelles, répondit Joharran. Comme il ne nous a pas envoyé de messager, j’en doute.

Plusieurs membres de la Neuvième qui avaient prévu de partager l’abri de parents ou d’amis d’une autre Caverne quittèrent le groupe pour aller les retrouver. La Première se rendit à la vaste habitation toujours installée au centre de tout pour la Zelandonia. Les autres attendaient au bord du pré où la plupart des Cavernes s’étaient rassemblées et saluaient les amis qui venaient les accueillir. Il se mit à pleuvoir.

À son retour, Joharran s’adressa à eux :

— Je crois que j’ai trouvé un bon endroit pour notre camp avec l’aide de Stevadal. Comme l’année dernière, il est un peu écarté mais je crois qu’il nous conviendra.

— C’est loin ? demanda Willamar.

Il songeait à Marthona, que la longue marche avait éprouvée.

— On le voit d’ici, si on sait où regarder.

— Eh bien, allons-y, décida Marthona.

Plus de cent cinquante Zelandonii prirent le sillage de leur chef. Lorsqu’ils arrivèrent, la pluie avait cessé et le soleil brillait sur une riante petite vallée fermée à un bout, assez grande pour accueillir tous ceux qui camperaient avec la Neuvième Caverne, du moins pour le début de la Réunion d’Été. Après les premières cérémonies marquant les retrouvailles, la vie estivale itinérante de chasse et de cueillette, d’exploration et de visites, commencerait.

Le territoire zelandonii se prolongeait bien au-delà des environs immédiats. Le nombre de ceux qui se disaient zelandonii avait tellement augmenté qu’ils avaient dû l’étendre. Il y avait d’autres Réunions d’Été de Zelandonii et des personnes, des familles ou même des Cavernes entières ne se rendaient pas aux mêmes réunions chaque année. Ils participaient parfois à des rassemblements plus lointains, en particulier s’ils avaient des objets à troquer ou des parents à voir. C’était une façon de maintenir le contact. Certaines Réunions d’Été regroupaient des Zelandonii et des peuples voisins vivant près des limites mal définies de leur territoire.

Parce qu’ils formaient un peuple nombreux et prospère, comparé aux autres, les Zelandonii jouissaient d’un prestige auquel beaucoup voulaient être associés. Même ceux qui ne se considéraient pas comme des Zelandonii revendiquaient une parenté avec eux dans leurs noms et liens. Mais si leur population semblait importante en regard de celle d’autres groupes, elle était insignifiante compte tenu de l’étendue de leur territoire.

Les humains constituaient une minorité parmi les habitants de ces terres froides. Les animaux étaient beaucoup plus nombreux et diversifiés : la liste des différentes sortes de créatures vivantes était longue. Si certaines, comme le cerf ou l’élan, vivaient seules ou en petits groupes familiaux dans les rares bois ou forêts dispersés, la plupart occupaient d’immenses espaces – plaines, steppes ou prairies – en grand nombre. À certaines périodes de l’année, dans des régions qui n’étaient pas si éloignées l’une de l’autre, des mammouths, des mégacéros et des chevaux se rassemblaient par centaines, des bisons, des aurochs et des rennes par milliers. Les oiseaux migrateurs assombrissaient parfois le ciel pendant des journées entières.

Les conflits étaient rares entre les Zelandonii et leurs voisins, en partie parce que les terres étaient si vastes et les populations si faibles, également parce que leur survie en dépendait. Lorsqu’une Caverne devenait trop peuplée, un petit groupe la quittait mais n’allait pas plus loin que le lieu accueillant le plus proche. Peu voulaient s’établir très loin de la famille ou des amis, non seulement à cause des liens d’affection mais aussi parce qu’ils voulaient rester près de ceux sur qui ils pouvaient compter dans l’adversité. Là où la terre était riche et capable de les nourrir, ils avaient tendance à vivre en groupes nombreux, mais il existait de grandes étendues inhabitées où ils n’allaient que pour des expéditions de chasse ou de cueillette.

Le monde de l’âge glaciaire, avec ses glaciers étincelants, ses rivières aux eaux claires, ses cascades grondantes, ses troupeaux gigantesques, était d’une beauté spectaculaire mais terriblement dur, et les rares êtres humains qui y vivaient avaient conscience de la nécessité absolue de maintenir des liens puissants. Vous aidiez quelqu’un aujourd’hui parce que vous auriez probablement besoin d’aide demain. Voilà pourquoi s’étaient développés des coutumes, des usages, des traditions qui tendaient à atténuer l’hostilité entre personnes, à apaiser les ressentiments et à maîtriser les émotions. Le groupe décourageait la jalousie et la vengeance en infligeant des punitions qui donnaient satisfaction aux parties lésées et calmaient leur colère ou leur souffrance tout en restant justes envers tous. L’égoïsme, la tromperie, la non-assistance à quelqu’un dans le besoin étaient considérés comme des crimes et le groupe trouvait des moyens de châtier les criminels avec subtilité et inventivité.

Les membres de la Neuvième Caverne décidèrent rapidement des emplacements individuels de leurs huttes d’été et commencèrent à construire ces habitations semi-permanentes. Ils avaient reçu assez de pluie, ils voulaient un endroit où ils pourraient se sécher. Les poteaux et les pieux qui en constituaient les éléments principaux, ils les avaient apportés avec eux après les avoir fabriqués à partir de branches soigneusement choisies, coupées et taillées. Une grande partie avait déjà servi pour les tentes de voyage. Ils disposaient aussi d’abris plus petits, plus légers, plus faciles à porter, pour les chasses de deux jours ou autres expéditions.

Les huttes d’été étaient toutes faites de la même façon. Circulaires, elles offraient suffisamment d’espace autour du poteau central pour plusieurs personnes debout. Un toit s’inclinait vers les murs extérieurs, près desquels on disposait les fourrures de couchage. L’extrémité du poteau central de la tente de voyage présentait une longue section en biseau sur laquelle on posait l’extrémité d’un autre poteau semblable au biseau inversé. Puis on les attachait solidement l’un à l’autre avec une corde pour obtenir un poteau plus grand.

Ils utilisèrent un morceau de corde pour tracer la distance du poteau central au mur circulaire extérieur et, s’en servant comme guide, édifièrent une clôture avec les poteaux de la tente, auxquels il en ajoutèrent d’autres.

Des panneaux faits de joncs ou de roseaux tressés, de cuir brut ou autres matériaux, certains apportés de la Caverne, d’autres fabriqués sur place, furent attachés à l’extérieur et à l’intérieur des poteaux afin de constituer une double cloison avec une couche d’air isolante. La natte de sol montait de quelques centimètres seulement sur la cloison intérieure mais cela suffisait pour arrêter les courants d’air. L’humidité de la fraîcheur du soir se condenserait sur la cloison extérieure, la cloison intérieure restant sèche.

Le toit était fait de minces branches de jeunes sapins ou d’arbres à petites feuilles, saules ou bouleaux, reliant le poteau central à la cloison extérieure. Ces branches étaient attachées entre elles et recouvertes d’une couche d’herbe et de roseaux. Comme il ne devait durer qu’une saison, le toit était juste assez épais pour ne laisser passer ni la pluie ni le vent et il fallait généralement le colmater plus d’une fois avant la fin de l’été.

Lorsque le gros des huttes fut construit et que les affaires furent disposées à l’intérieur, l’après-midi s’achevait et il allait bientôt faire noir, mais cela n’empêcha pas les Zelandonii de la Neuvième de se diriger vers le camp principal pour voir qui était déjà là, saluer parents et amis. Ayla et Jondalar devaient encore s’occuper des chevaux. Comme l’année précédente, ils fabriquèrent un enclos à quelque distance du camp avec des poteaux qu’ils avaient apportés et de jeunes arbres qu’ils déterrèrent et replantèrent. Ils les relièrent par des branches ou de la corde. Les chevaux auraient pu passer par-dessus ou les briser, mais l’enclos servait davantage à délimiter leur espace, à la fois pour eux et pour les visiteurs curieux.

Ayla et Jondalar furent parmi les derniers à quitter le camp de la Neuvième Caverne. Lorsqu’ils partirent enfin pour le camp principal, ils passèrent devant la petite Lanoga, âgée de onze ans, et son frère Bologan, treize ans, qui s’échinaient à construire une petite hutte d’été à la lisière du camp. Comme personne ne voulait loger avec Laramar, Tremeda et leurs enfants, elle était destinée à abriter uniquement leur famille, mais Ayla remarqua qu’aucun des parents n’était là pour aider les enfants.

— Lanoga, où est ta mère ? Où est Laramar ?

— Je ne sais pas. À la Réunion d’Été, je suppose.

— Tu veux dire qu’ils sont partis et vous ont laissés construire seuls votre hutte ?

Le Pays Des Grottes Sacrées
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